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Un aller-retour obstiné

vendredi 26 novembre 2010, par Arcaix Thierry

Vacquières. Calixte enveloppait Finette dans son grand manteau dont il refermait les pans autour d’elle pour la protéger du vent.
Troisième partie : un aller-retour obstiné…

Le soleil passa derrière la colline, les façades ensoleillées du village s’éteignirent et prirent subitement une teinte grise. Finette frissonna, elle entoura ses épaules avec son fichu, elle se leva, elle devait rentrer. Comme Calixte cherchait à la retenir, elle lui dit qu’il n’était pas bon pour elle de rester à la fraîcheur. Alors Calixte n’insista pas, il la regarda s’éloigner et ne prit le chemin du retour que lorsqu’elle eut disparu totalement de sa vue.
Le mouchoir caché {JPEG}
A partir de ce jour, commença pour Finette et Calixte, un double va et viens, l’essentiel de leur vie. Tous les soirs, quel que fut le temps, ils se rejoignaient au pied de leur arbre. Le sol au mois d’Octobre était tapissé de poires. Personne ne mangeait ces fruits âpres. Les vignes flamboyaient encore une fois avant de perdre leur feuilles aux premières gelées et de ressembler à des champs de croix. Il la serrait dans ses bras, inquiet des frissons qui la secouaient. Elle n’avait jamais froid, elle avait toujours chaud lui disait-elle ; Depuis quelque temps, ses yeux étaient cernés d’une auréole bistre et une vilaine toux déchirait sa poitrine. Cette année là, l’hiver fut terrible et dura très longtemps. Il tomba, dès les premiers jours de décembre, une neige épaisse et collante. Le gel transforma les chemins en patinoire, l’eau gela dans les puits. Le monde se peignit en noir et blanc. La vie semblait avoir déserté le village et la campagne environnante. Seules les fumées, montant des cheminées attestaient qu’il y eut encore de la vie. Un après-midi de janvier, vers trois heures, ce fut Calixte qui arriva en avance, il l’aperçut au loin qui s’approchait. Il fut ému du changement qu’il nota dans sa démarche, du côté souffreteux de son allure. On aurait dit un petit oiseau sautillant sur la neige. Alors lui revinrent à l’esprit les ragots, les histoires que l’on colportait et qu’il voulait enfouir au plus profond de lui : la mère de Finette était morte il y a longtemps déjà, phtisique, puis un frère avait suivi. Mais on n’en parlait pas ! Certaines famille condensaient la malédiction.
Calixte Vigourous {JPEG}
Quand Finette l’aperçut , elle se redressa et accéléra son allure. Quand elle fut tout près de lui, elle s’abandonna dans ses bras. Calixte la serrait contre lui. Il l’enveloppait dans son grand manteau dont il refermait les pans autour d’elle pour la protéger du vent. Il soufflait son haleine chaude, sur ses joues rougies pour la réchauffer. Ils restèrent longtemps, plus longtemps que d’habitude, serrés contre l’arbre. Ce soir là, Finette parla très longtemps à l’oreille de son amoureux. Seuls les oiseaux comprirent la tragédie qui se vivait au pied de cet arbre. Personne ne sut ce qu’ils se sont dit ce soir là. Mais, à partir de ce jour, on ne vit plus Finette empruntant le chemin de Vabre. Seul Calixte Vigourous, respectueux du serment qu’il lui avait fait, effectuait sa moitié de chemin, un aller-retour obstiné, comme la vague éternellement sur la plage.

Cette année là, le printemps, comme cela arrive après des hivers rigoureux, fut subit, magnifique. Le poirier se couvrit d’une neige fleurie et ses fleurs blanches au cœur rouge flottaient au loin, Fuji Hama miniature, au dessus de la plaine.

Tous les soirs, Théophile Coutarel qui conduisait la diligence de Claret apercevait Calixte Vigourous, fidèle à son rendez vous, le front posé contre le tronc, comme un enfant puni ; une fois même il le vit, les bras écartés, essayant d’embrasser la totalité de sa circonférence. Personne ne disait rien. On comprenait sa douleur. Calixte ne sut jamais quand Finette mourut. Bientôt on ne fit plus attention à lui. Pendant des années il continua à travailler à la forge. Il respectait avec une ponctualité méthodique son rendez vous quotidien. Il ne se maria pas, il n’y pensa même pas malgré les œillades aguichantes qu’il recevait des filles. Son cœur était pris à jamais. Finette Garridel {JPEG}
Il fut en tant que célibataire un des premiers à partir en août 1914. Comme personne n’attendait son retour ; très vite on ne sut plus rien de lui. La guerre, à grand coups de faux aveugles, moissonnait la jeunesse française et allemande. Son nom se dilua, désormais anonyme, dans la liste des morts. Toutes les familles étaient touchées. Toutes avaient perdu : un fils, un frère ou un mari. Une si grande douleur collective fit oublier le drame de Calixte Vigourous et de Finette Garridel.

L’arbre en 2010 existe toujours. Il monte toujours la garde au bord de la route, goudronnée maintenant, à l’intersection avec le petit chemin que Calixte empruntait depuis le Brestalou. Il se couvre encore de magnifiques fleurs à chaque printemps. Mais il est dit que Finette a caché son ruban blanc dans le creux de l’arbre et que tant qu’il s’y trouvera, l’arbre se couvrira, à chaque printemps, de centaines de magnifiques fleurs blanches.

P.-S.

Une légende vacquièroise, signée Noirmica, publiée dans l’Hérault du Jour en juillet 2010 en 3 parties :

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