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Mortiès-Nord (3/4) : mobilier archéologique et datation

vendredi 25 novembre 2005, par Genty Pierre-Yves

Mortiès Nord : une petite ferme médiévale complète de la seigneurie de Montferrand (Saint-Jean-de-Cuculles)

Deux zones de dispersion de mobilier ont été reconnues, l’une dans la grotte même sur le cône de remplissage et l’autre dans la pente, sous l’habitat principal, à l’emplacement d’une zone un peu dénudée et plus facile à examiner qu’ailleurs.

Sur la zone de "dépotoir" externe, 95 fragments de poteries ont été recueillis, ils se répartissent entre six catégories principales de céramiques [1] : des céramiques "vernissées du Montpelliérais" (9,5%) [2], des céramiques vernissées de l’Uzège (8,5 %) [3], de la céramique fine tournée oxydante (8,4%) [4], des céramiques "oxydantes polies" (31,6%) [5], de la céramique réductrice à gros dégraissant (5,2%) [6] et de la céramique réductrice à pâte fine et "savonneuse" dite "à décors plastiques" (8,4%) [7].

Dans la grotte, les 12 fragments recueillis sont plus importants et mieux conservés ; ils reflètent les proportions précédentes à l’exception de l’absence de récipients à cuisson réductrice.

Ce mobilier céramique dominé sans conteste par les "oxydantes polies" n’est pas forcément rigoureusement contemporain, il représente cependant un assemblage de catégories que nous avons régulièrement rencontré sur des sites médiévaux inédits du Montpelliérais [8], ce qui prouve que ces catégories, si elles ne se superposaient pas toutes dans le temps, se succéderaient en tout cas, sans coupures, dans le temps.

Ces nombreux sites médiévaux ne nous ont par contre livré, à une seule exception près, celle de Péret (Assas - Hérault), aucune véritable céramique réductrice du Haut Moyen Age et du Moyen Age central [9], à l’inverse de deux des trois premiers ensembles à "oxydante polie" publiés [10] qui voient quant à eux l’association de cette famille avec des réductrices plus anciennes, sans la présence des vernissées. Dans les trois cas, les profils de bords retrouvés et la description des textures montrent qu’il s’agit bien d’une même et unique production de céramique commune oxydante fruste. Pour les sites de Rabassiés (Argelliers - Hérault) et de St-Martin-de-Coulombs (Fabrègues - Hérault), les premières tendances de datation proposées, les XIe - XIIe siècles, sont établies plus particulièrement en tenant compte de l’état des connaissances sur la céramique commune réductrice médiévale.

L’existence de plusieurs sites [11] des environs de Montpellier entièrement dominés par la présence de "l’oxydante polie" est également reconnue, comme pour le Mas Viel d’Argelliers [12]. Sans en tirer des arguments de datation supplémentaires à ceux qui ont été déjà proposés à titre préliminaire, on remarquera que cette très forte représentation en prospection de surface sur de nombreux sites tend à démontrer la puissance des ateliers producteurs [13] tout autant que la longévité certaine de la production.
A l’inverse, en prenant le problème du côté des associations les plus tardives rencontrées avec des "oxydantes polies", celles du mobilier vernissé de l’Uzège et des "fines réductrices à décor plastique", on soulignera que le seul site du Bas Moyen Age fouillé et publié sur le territoire étudié, l’atelier de verriers de la Seube [14], site où il ne semble pas se trouver d’oxydantes polies, est assez bien daté par une petite série monétaire de la première moitié du XIVe siècle. L’équilibre céramologique de la Seube n’est pas unique et se trouve confirmé dans le même territoire sur différents autres sites où les mêmes genres de rebords caractéristiques des marmites vernissées de l’Uzège sont attestés [15]. Bien que la phase de distribution massive de la céramique vernissée de l’Uzège ne soit pas encore totalement cernée, on pourrait penser qu’elle débuterait solidement vers le milieu du XIIIe siècle en venant télescoper, voire recouvrir momentanément, la seule catégorie de céramique présente, "l’oxydante polie", dont on est bien forcé de croire qu’elle dominait le marché du Montpelliérais, en tous cas à la fin du XIIe siècle, et probablement encore dans la première moitié du XIIIe siècle.

Quelques collectes de surface en relation avec des sites connus par des mentions médiévales datées [16] semblent bien aller dans le même sens. Ainsi le site de Péret, dont on connaît seulement des mentions dans la seconde moitié du XIIe siècle, voit effectivement apparaître l’oxydante polie sur un substrat médiéval plus ancien (à communes réductrices) puis s’efface avant l’arrivée des vernissées. Celui de Cairol dont les mentions datent d’une part du milieu XIIe siècle et aussi de la seconde moitié du XIIIe siècle, voit dans ses "dépotoirs" 1 et 2, une proportion de 78 % d’oxydantes polies, mais il présente aussi un "dépotoir" 3 marqué d’une quasi absence de ce mobilier en face de 60% de vernissées d’Uzège et du Montpelliérais, ensemble archéologique qui se raccorderait aux mentions tardives. Le site de St-Léon [17] dont les mentions remontent au milieu du XIIIe siècle, ne présente qu’une infime proportion "d’oxydantes polies" (4 %) en face d’une implantation dominante des vernissées du Montpelliérais (38 %).

Cette réflexion encore très fragmentaire semble bien montrer que "l’oxydante polie" serait bien la production exclusive sur le territoire du Montpelliérais, tout au long du XIIe et encore dans la première moitié du XIIIe siècle, jusqu’aux alentours du milieu du siècle, moment auquel les vernissées de l’Uzège et du Montpelliérais monteraient en puissance pour faire en sorte qu’aux débuts du XIVe siècle on ne retrouve plus du tout cette famille de céramique très fruste. Nos observations n’apportent par contre aucune donnée sur la période de première distribution de cette catégorie de céramique commune.

La datation que nous proposons ainsi pour le site de Mortiès nord d’après les céramiques retrouvées serait un démarrage de l’établissement courant XIIe ou début XIIIe siècle et une extinction de l’occupation humaine pendant le XIVe siècle, au-delà des premières décennies de ce siècle.

P.-S.

Avec l’aimable autorisation de Pierre-Yves Genty. _ Dactylographie : Sylvie Rouquette.

Cette page est un chapître de l’article "Mortiès Nord : une petite ferme médiévale complète de la seigneurie de Montferrand (Saint-Jean-de-Cuculles)". Sommaire et liens vers autres chapîtres :

Notes

[1Le médiocre état de conservation des céramiques ayant séjourné longtemps en surface laisse une assez forte proportion de fragments de classe indéterminée (28%) qui doit affecter tout particulièrement la proportion des céramiques vernissées du Montpelliérais dont le vernis aurait disparu ; les 4 fragments de modelée préhistorique présents n’entrent ni dans le total ni dans les calculs statistiques.

[2La catégorie que nous dénommons ainsi est encore mal connue mais néanmoins de texture et d’aspect caractéristique : vernis de teinte verdâtre foncé ou brun-vert, nettement plus sombre que le vernis de l’Uzège ; pâte présentant un dégraissant sableux finement calibré et abondant ; sa couleur varie entre le gris-brun, le gris-beige et va jusqu’à l’orange brique, il arrive même que la tranche soit bordée de deux bandes de couleur plus foncée. Dans la région prospectée nous avons très souvent mis en évidence cette catégorie en association avec des vernissées de l’Uzège ; sur le plan de la typologie, les bords plats ou évasés ayant une concavité sur le haut, dominent largement.

[3Nous rappelons pour mémoire les caractéristiques essentielles de cette catégorie bien connue : pâte très cuite de couleur gris clair à gris-rosé, parois peu épaisses, vernis de couleur vert-olive, vert jaune et marron jaune. Dans le "dépotoir" se retrouve, entre autres, un bord de marmite tout à fait typique.

[4Ce groupe méconnu, ou mal connu (?), ressemble aux productions romaines liées au service de la boisson mais avec une pâte généralement plus dense. Il pourrait parfois, ou souvent (?) se rapporter à de la céramique émaillée à couverte disparue, peut-être du type à vernis uni de couleur vert vif que avons reconnu par de nombreux fragments au couvent St-Léon à St-Bauzille-de-Montmel.

[5Comme nous le verrons, la fréquence, l’aire de diffusion provisoire et l’aspect cohérent de ce groupe nous permettent de proposer le terme "d’oxydante polie du Montpelliérais". Même dégradés par le séjour en surface, les fragments ont une texture et un aspect caractéristiques : la pâte solide est très colorée, avec une teinte d’orange-brique à marron-orange ; la surface externe est soigneusement polie et présente parfois un voile foncé de couleur gris-brun ; l’inclusion de particules calcaires assez grosses laisse après corrosion des vacuoles qui donnent un aspect très "préhistorique" aux fragments, d’autant plus que la surface interne, souvent "brossée" ne présente guère de traces de tournage. Comme particularités typologiques remarquables on soulignera la section carrée ou plate des anses et certains bords rentrants. Dans le lot considéré se retrouvent deux becs de pichets à "bec ponté".

[6Céramique commune réductrice à dégraissant relativement grossier, encore mal définie, elle se repère surtout au plan typologique en raison des formes de bords de gros cuviers dont les panses semblent couvertes de cordons parallèles. Ici justement deux de ces bords sont présents. D’après nos prospections cette famille, signalée à la Seube par N. Lambert, n’apparaîtrait qu’assez tardivement et serait surtout contemporaine des différentes vernissées anciennes mais pas des "oxydantes polies".

[7Céramique largement répandue en Languedoc en association avec les vernissées de l’Uzège. Elle a été reconnue tout particulièrement sur les verreries de la Seube (op. cit. ci-dessous) dans la première moitié du XIVe siècle semble-t-il, mais aussi récemment dans des silos de la place de La Canourgue à Montpellier où de grosses bouteilles à embouchure étroite ont pu être reconstituées (sauvetage archéologique réalisé par Monique Le Nezet en 1989-90). Ses caractéristiques sont l’utilisation d’une terre de texture fine, une cuisson réductrice donnant des couleurs gris moyen, gris-vert ou même gris-beige, et l’emploi de bandes verticales écrasées sur la paroi et agrémentées de digitations ; les larges anses à cannelure médiane, adoucies et bordées de deux faibles bombements en sont très typiques.

[8Pour les principaux sites prospectés où l’association des différentes catégories de céramiques est évidente, nous signalons les tours de Tourrières (Cazevieille), le manse de Cairol - dépotoirs 1 et 2 (Les Matelles), La Salade Viel et Malembra (St-Mathieu-de-Tréviers).

[9Le site de Péret à Assas, mentionné précocement villam de Peret en 1155, et Mansus de Pereto au XIIe siècle, est occupé en continu de la République jusqu’à la phase médiévale à laquelle sont utilisées les "oxydantes polies", mais pas jusqu’à celle des vernissées anciennes du Montpelliérais et de l’Uzège. Ici, tous les bords de céramiques réductrices présents appartiennent aux types 2, 5a et 5b de la typologie de la C.A.T.H.M.A. de 1993 (op. cit. ci-dessous), mais ne se rapportent jamais au type 3.

[10C.A.T.H.M.A. sous la coordination de Leenhardt (M.), Raynaud (C.) et Schneider (L.). - Céramiques languedociennes du Haut Moyen âge (VIIe - XIe s.) - Etudes micro-régionales et essai de synthèse. Archéologie du Midi médiéval, 11, 1993, p. 111-228.
Notice sur Argelliers, le Mas Viel, par Leenhardt (M.), Raynaud (C.) et Schneider (L.), p. 163-165 ; Notice sur Argelliers, Les Rabassiés, par Ginouvez (O.), p. 164-166 ; Notice sur Fabrègues, St-Martin-de-Coulombs, par Paya (D.), p. 170-171.

[11Pour les principaux sites prospectés où les céramiques oxydantes polies dominent, nous signalons l’habitat de l’Homme Mort (St-Gély-du-Fesc), les fermes et le refuge de Mortiès Est (St-Jean-de-Cuculles), le four Est de Montferrand et la ferme de Boudou Nord (St-Mathieu-de-Tréviers).

[12C.A.T.H.M.A., op. cit. ci-dessus.

[13En plus des sites à "oxydantes polies" mentionnés, nous en avons reconnu plusieurs autres où les médiocres conditions de prospections n’ont pas permis de réaliser des collectes quantifiables : Les Combes, La Chapelle et Le Cimetière sur la commune d’Assas ; Baillarguet Ouest à Montferrier ; la Butte de Fenouillet à Vacquières. Tous sites confondus, une première liste des communes présentant des sites à "oxydantes polies du Montpelliérais" peut être dressée, et concerne : Argelliers, Assas, Cazevieille, Fabrègues, Les Matelles, Montferrier, St-Bauzille-de-Montmel, St-Gély-du-Fesc, St-Jean-de-Cuculles, St-Mathieu-de-Tréviers. Actuellement on reconnaîtra donc sans difficulté une très forte présence dans les environs de Montpellier ; compte tenu de l’état des recherches, on peut supposer que les limites est et ouest de l’aire de distribution n’évolueront pas énormément, par contre vers le nord les réelles limites restent à définir.

[14Lambert (N.). La verrerie médiévale forestière de la Seube - Claret (Hérault). Archéologie en Languedoc, 5, 1982-83, p. 177-244. A partir des données publiées, il n’est pas possible d’effectuer des comptages, on notera simplement que les céramiques se partagent principalement entre la vernissée de l’Uzège, la céramique fine, réductrice à décor plastique, de la céramique commune réductrices grossière (mortiers...) et des céramiques émaillées à décor vert et brun ou à décor bleu et lustre métallique.

[15Pour les principaux sites prospectés où les différentes catégories de vernissées sont majoritaires et non associées (ou très faiblement) à des "oxydantes polies", nous signalons Carremaule et la ferme de Carremaule Nord 1 (St-Jean-de-Cuculles), le Serre de Maroquier Ouest (Vacquières) et le couvent St-Léon (St-Bauzille-de-Montmel).

[16Hamlin (F. R.). Les noms de lieux du département de l’Hérault, Nîmes, imp. Lacour, 1988.

[17Le Couvent St-Léon semblerait crée en 1238 puis signalé encore en 1260 (Cartulaire de Maguelone) ; il a fait l’objet de prospections soignées, en 1993, juste aux abords des bâtiments sommitaux ; parmi les 335 fragments recueillis, les vernissées du Montpelliérais typiques s’élèvent à 38%, mais pourraient certainement être augmentées encore à partir du groupe des communes oxydantes indéterminées susceptibles d’englober des fragments ayant perdu leur vernis (23 %) ; les céramiques à pâte fine oxydante et vernis vert vif représentent 13,5%, et, quant à elles, les "oxydantes polies" seulement 4% du lot.

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