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Le serpent, le crapaud et le routard

dimanche 9 juin 2013, par Mascarell Raymond

Cette histoire est réelle. Tout au moins les lieux et les faits que j’ai plaisir à transformer en dialogue imaginaire :

Château de Restinclières

Nous descendions, sac au dos, de l’Aigoual en direction de la mer faisant étape, environ tous les 25 km, ici ou là, dans des gîtes prévus à cet effet. Ayant traversé du Nord au Sud le pic St Loup, nous avions logé, la veille au ’Campotel’ de St Mathieu de Tréviers. Notre dernier parcours nous conduisait ensuite à Montpellier via le château de Restinclières puis Prades le lez, mon village natal.

Nous empruntions donc à la sortie du château, le chemin qui traverse la forêt de pins, où nous ramassions pendant la guerre des branchages pour le poêle de notre école, et conduit à l’allée du moulin en bordure du Lez. Un moulin qui, hélas, tel celui de Fontvieille d’Alphonse Daudet, ne peut que murmurer des légendes du temps passé. Enfant, il me souvient que j’avais beaucoup joué sur les rives de la rivière notamment après une violente crue d’été, où j’avais péché dans son étiage une friture inépuisable de goujons prisonniers impuissants de leurs trous d’eau.

Toujours rêveur en serre-file, je me retrouve soudain à l’approche du ’pont des soupirs’, face à une belle couleuvre, dite de Montpellier, laquelle bête tient fermement dans sa gueule un crapaud apparemment vivant. Le serpent, lové en plein soleil sur un vieux muret me regarde et me fixe ardemment comme s’il voulait m’hypnotiser.

- N’avance pas !

Effectivement, je ne suis pas tétanisé mais néanmoins je n’ai pas envie d’avancer ni de reculer. Mes yeux rencontrent les siens et lui parlent fermement

- Lâche ce crapaud ! Il ne t’a rien fait. Tu ne vas pas tout de même l’avaler tout cru ?

- De quoi te mêles-tu ? Je me nourris et je fais mon travail pour lequel la nature m’a créée

- Peut-être, peut-être, je réponds, mais lâche-le tout de même

- Pas question, confirment les yeux perçants de l’animal. Mêles- toi de ce qui te regarde.

{}Effectivement de quoi je m’occupe ? Certainement que cette couleuvre n’a pas mangé depuis longue date. Le crapaud serait pour elle un met bien appétissant et nécessaire. Ma volonté commence petit à petit à faiblir. Ce dont s’aperçoit le batracien qui tout paniquant m’apostrophe :

- Ne te laisse pas influencer, Raymond. Tu as oublié l’histoire d’Adam et Ève ? Tu sais, un serpent reste un serpent et n’a aucune pitié pour personne. Donne-lui un coup de gourdin et oblige cette sale bête à relâcher ses crochets.

- Toi le crapaud, ferme ta gueule ! N’oublie pas que les hommes ne sont guère plus gentils avec vous les batraciens qu’avec nous les ophidiens. Alors n’attends rien de celui là. Peut-être que même ses enfants te chassent à coup de cailloux.

Je reste là tout pétrifié et penaud en songeant combien, dans mon enfance, j’ai haï parfois les crapauds en chantant leur chanson dont particulièrement ce couplet :

’Notre peau terreuse se gonfle et se creuse

D’une bave affreuse, nos flancs sont lavés

Et l’enfant qui passe, loin de nous s’efface

Puis pâle, nous chasse à coup de pavés’

{}Oui, l’enfance est cruelle souvent et ne se rend pas toujours compte. Non ! Je ne vais pas céder pour autant à cette maudite couleuvre.

- Lâche ce crapaud ! Je te l’ordonne et n’essaie pas de te justifier avec toutes tes manigances pour mieux me manipuler.

- Raymond, ne cède pas, supplie le crapaud.

Que puis-je faire ? D’un côté, il y a mon émotivité mais de l’autre il y a la nature qui me dit de ne pas intervenir.

’Ce n’est qu’un crapaud, après tout ! Tu ne vas pas jouer les Zorro pour ce type de bestiole ? Quant au serpent, ce n’est pas sa faute si le ’créateur’ l’a voulu ainsi.’

D’accord, je n’interviens pas physiquement mais mon regard, lui, défie le celui du ’monstre’.

- Tu n’as pas honte ? Je ne sais pas comment je peux agir mais sois sure, vieille sorcière, que tu auras de mes nouvelles d’une façon ou d’une autre. Et si ce n’est toi, ce seront tes sœurs et frères ou tout membre de ta famille. Donc, crache ce crapaud si tu veux que nous vivions en bons termes.

- Alors là, tu me fends le cœur ! Comment peux-tu croire que je vais céder à tes menaces. Sais-tu, vieil ignorant, que je vais être bientôt mère de famille et que j’ai besoin justement de reprendre des forces. Quoique tu puisses imaginer, la prochaine proie sera assurément une grenouille ou un lézard vert que, d’ailleurs vous les humains, semblez protéger. Essaie de comprendre, utopiste naïf, c’est ainsi la vie et tu n’y peux rien mon pauvre ami.

Bien entendu, je ne suis pas son ami ni non plus son ennemi. Imperceptiblement, j’échappe à son regard meurtrier et machinalement j’esquisse un pas dans sa direction. Prend-elle peur ? Je ne sais pas mais certainement sans s’en rendre compte, elle relâche la pression autour du crapaud. Ce dont profite ce dernier, encore bien vivace, pour filer sans demander son reste.

- Merci Raymond ! Vraiment tu m’as sauvé la vie !…

- Pas de quoi, Cul-terreux ! Disons que tu as eu de la chance que je passe par là.

- Malheur à toi, stupide routard ! Tu n’as rien compris aux lois qui nous régissent, crie le reptile, en glissant hâtivement parmi les fourrés rocailleux.

Quel mérite avais-je ? J’étais là, bras ballants en bordure du chemin cahoteux, admirant une dernière fois le Lez s’engouffrer sous le pont des soupirs. Je soupirais, non pas de la même façon que les amoureux jadis mais plutôt en songeant que j’avais fait sans le vouloir l’ultime B.A de ma journée de routard. Au demeurant, je n’y crois pas trop encore…

Le serpent, le crapaud et le routard

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