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La vie quotidienne dans les villages de la vallée de Montferrand

dimanche 28 août 2005, par Arnal Jean, Rouquette Sylvie

Il est très difficile de se cantonner au village de Saint-Mathieu-de-Tréviers, partie intégrante de la république de la vallée ou laval de Montferrand. Le compoix de 1258-1259 nous donne le nombre exact de tous les mas, honneurs ou propriétés assujettis à l’impôt foncier. Les personnes imposées le sont nominalement pour leur participation à un mas, d’autres sans explication devaient avoir une maison et une basse-cour ou des abeilles... Cette liste exhaustive devrait permettre de calculer le nombre d’habitants fixés dans la vallée. En réalité, il nous faudra beaucoup d’audace pour surmonter l’incohérence de sa présentation.

154 personnes ou mas imposés, c’est peu de monde en ap¬parence. Cela fait un total de 154 familles composées d’au moins trois enfants en moyenne et au moins un ou deux grands-parents. Lorsque les enfants grandissant se mariaient, les jeunes ménages restaient souvent avec leurs parents, surtout si c’est le fils aîné. Contentons-nous de six personnes par famille car on mourait jeune et les grands parents en dehors des veuves étaient rares. Cela fait donc pour 154 familles 924 personnes. Il convient d’ajouter le nombre des ouvriers agricoles permanents vivant aux 65 mas. En 1939, pour 20 hectares de vignes et de céréales, il fallait environ six ouvriers agricoles, sans compter les saisonniers. Toutes les fermes n’utilisaient pas la charrue. Le mas de Uglas à Saint-Martin-de-Londres donne un bon exemple des façons culturales encore en vigueur au début du XXe siècle. Dans presque tous les champs situés dans une zone rocailleuse, la culture se faisait uniquement au « bigot », pioche à deux pointes employée depuis les romains ou peut-être les Gaulois. Par endroits, les rochers sont si serrés que le champ serpentait au milieu d’eux. Un tel travail nécessitait une main d’oeuvre plus abondante, utilisée aussi à construire de longues murailles servant à la fois comme limite de propriété et pour l’épierrement, chaque pierre enlevée libérant un plan d’herbe destinée à la nourriture du troupeau. On peut donc estimer à un minimum de 5 le nombre d’ouvriers par exploitations. Les grandes exploitations arrivaient à 15 ouvriers, d’autres se contentaient d’un ou deux. Pour 65 mas, cela fait 355 personnes, soit une population de 1224 âmes.

A ce chiffre, il convient d’ajouter les artisans. Le château de Mont¬ferrand et les mas aisés possédaient des ouvriers plus ou moins spécialisés dans la réparation du fer ou du bois, par exemple changer un manche d’outil ou souder la pointe d’un bigot cassé. Ils sont déjà comptés parmi les ouvriers. Les cartulaires ne parlent guère des ar¬tisans. Pourtant, personne ne pouvait se passer d’un maréchal ferrant. Si on ne trouvait pas facilement des gens capables de clouer un fer dans le sabot d’un cheval, on trouvait des artisans sachant fabriquer des « hipposandales » mises au sabot comme des souliers - les Romains les utilisaient déjà. Les menuisiers si nécessaires, jouaient en même temps le rôle de charpentier.

Tout château devait continuellement être non seulement entretenu mais encore adapté aux nouveaux moyens de défense capables de répondre à l’offensive. Rappelons-nous la muraille cyclopéenne ajoutée à l’ouest du rempart de Montferrand pour combattre l’armée de Rohan et l’installation d’une terrasse pour supporter les canons et leur affût. Les maçons étaient donc nécessaires dans les environs immédiats d’un château de l’importance de Montferrand. En outre, la garnison levée dans le pays commandée par un capitaine, devait avoir une cinquantaine de soldats et au moins 5 civils, un bayle, un notaire, un juge et son greffier soit six personnes avec leur famille, en tout 36 personnes, 86 avec les soldats. Deux clercs au moins desservaient chaque village, avec les gens de maison, cela donne 20 + 10 = 30 à ajouter aux 86 habitants du château et aux 1224 précédents, cela fait 1340 habitants. Sur ce chiffre, il faut enlever 189 habitants pour Ste Croix, Cazevieille, Fontanès et Viols en Laval, ce qui fait moins de 200 habitants par village restant. Même pour le XIIIe siècle c’est peu, cela montre que le compoix de 1258 incomplet ignore volontairement des catégories de gens, les clercs, les pauvres et les nobles qui n’étaient pas astreints à l’impôt.

Il est pratiquement impossible de compter les artisans. II n’est cité dans les documents étudiés qu’un savetier à St Mathieu. Leur nom¬bre, quelle que soit leur spécialité devait être insignifiant.

 La poterie

La poterie était fabriquée dans des villages spécialisés, les plus connus de la région encadraient le comté de Melgueil, Saint-Jean-¬de-Fos dans l’Hérault, Saint-Quentin-la-Poterie et Saint-Victor-les-Oules dans le Gard. Le premier a commencé à se spécialiser dans la céramique aux environs de 1000 ans avant J.-C. Sur la rive gauche de l’Hérault, à la sortie du canyon de St-Guilhem-le-Désert, les
Préhistoriques s’installèrent au pied d’une falaise haute d’une soixantaine de mètres pour profiter des colonnes d’air chaud propres à activer le tirage des fours. Ses tuiles, ses gouttières et ses tuyaux en céramique vernissée d’un vert puissant furent célèbres mais cédèrent la place devant la généralisation du zinc, plus malléable et moins cher pour évacuer les eaux de pluie des toitures. Les deux villages gardois fabriquaient des céramiques diverses notamment des petits vases à fleurs lisses, des cuviers et de grosses amphores à fond plat ornées de bandes grillagées en relief de tradition wisigothique. Toutes les coutumes remontant au romain et quelquefois au-delà ont été littéralement balayées par les nouvelles techniques industrielles plus fonctionnelles.

 La transhumance

Le village du Triadou, au nom évocateur, servait de lieu de concentration pour les troupeaux de moutons avant la transhumance de façon à diminuer le nombre des bergers à envoyer en montagne. Les marques imprimées sur chaque bête permettait aux propriétaires de les récupérer à leur retour. Les drailles larges, encadrées de murs de pierres sèches dans la garrigue étaient jalonnées de loin en loin par des abbayes qui en échange de leur protection prélevaient un péage.
La vente de laine tondue au mois de Mai apportait une con¬tribution non négligeable aux exploitants. Le fumier aussi, en amen¬dant le sol, facilitait la culture annuelle des champs et augmentait la production des vignes. Les abeilles fournissaient aux apiculteurs le miel très apprécié pour sucrer de nombreux mets.

 Les jardins potagers

Dans chaque village ou hameau, les habitants se groupaient autour d’un puits communal ou particulier, certains possédaient les deux à la fois. Une « pile » monolithe prise parfois à tort pour un sar¬cophage, recevait l’eau pour la réchauffer au soleil, car à sa sortie, elle est trop fraîche pour arroser les légumes ou même pour faire boire les chevaux. En été, les villageois plongeaient les bouteilles dans un seau d’eau fraîche pour tenir les boissons à température agréable. Cela s’est pratiqué jusqu’à la généralisation des frigidaires, certaines familles cependant utilisent encore ce procédé. J’ai vu des puits munis d’un escalier intérieur fait de dalles sorties du bâti de façon à former un colimaçon, ce système permet de puiser l’eau directement avec un seau quel que soit son niveau. L’usage du moteur électrique a pris la place des anciens systèmes de puisage, mais on rencontre encore un seau attaché à une chaîne coulissant sur une poulie, des moulins à vent et aussi quelques noria à godets entraînés par un mulet ou un âne. La façon la plus ancienne de tirer l’eau consistait en un « balier » (orthographe non garantie), longue perche basculante dont l’extrémité avait un seau attaché à une corde. Cette gaule pivotait sur un bois fourchu mais comme la partie arrière était très décentrée, il fallait un contrepoids pour équilibrer la charge. J’en ai vu dans la région avant la guerre de 1914 et l’un d’eux est encore en service à Salinelles.

A la Vieille, les habitants utilisaient l’eau du puits des jardins non seulement pour l’arrosage mais devaient la transporter avec des récipients jusqu’au hameau, distant d’un kilomètre, pour tous leurs usages domestiques. Ces jardins associés sont encore visibles à Tréviers près de la rive droite du Terrieu, à St Mathieu au sud-est de la colline. Chaque mas avait son jardin potager contre le puits, généralement dans des bas-fonds.

Les potagers, toujours en service depuis des siècles, servaient et servent encore à fournir des légumes et des fèves comme farineux même après l’apparition de la pomme de terre. Dans les vignes, quelques arbres fruitiers dits « de plein vent » produisaient des pêches, prunes, abricots et cerises. Contre les maisons ou le long des murailles, poussaient des grenadiers et des figuiers. Les ar¬bousiers dont les beaux fruits rouges servent à faire des gelées, se multiplient au point de former des bois impénétrables appelés « ar¬broussas » en langue d’Oc.

 La justice

Dans la république de la Vallée rendue par le juge de Montferrand, la justice était sans appel. L’évêque lui-même et son juge ne pouvaient modifier la sentence. Le petit vol était puni par la fustigation.

Le 2 Juin 1335 « en la cour (judiciaire) de Montferrand, Mgr Peytavin évêque de Maguelone, Bertrand de Villeneuve, damoiseau du château de Montferrand, pour l’évêque, fit procéder à l’exécution d’une condamnation contre Raymond Popini, berger déféré à ladite cour, pour de nombreux et divers vols et d’autres méfaits et condamné à la fustigation publique, sur le territoire et la juridiction dudit évêque (entre autre, il avait volé des chiens au mas du Cayret) ».

« II fut ainsi mené, fustigé de Saint Martin-de-Tréviers à Cécelès, puis au lieu du mas Cayret, alias Na Guiraudeta, paroisse de Sainte-Croix-de-Quintillargues où l’évêque a l’imperium simple et mixte et pleine justice haute et basse, puis à Sainte Croix de Quintillargues. Puis en suivant la route jusqu’au mas de Meulla même paroisse où l’évêque à mêmes prérogatives que ci-dessus ». Témoins Raymond Teulerii de St Mathieu, lieutenant dudit château, Guillaume de la Tour, des Matelles, Pierre de Cayroleto, Martin Fabre, Guillaume Pertrach de Tréviers, Jacque Gaucelmi de Ste Agnès, et plusieurs autres.
Acte dressé par Raymond de Morterii (Mortiers ?) notaire public de l’évêque de Maguelone.

Les jugements se rendaient n’importe où ; la majorité des cas passaient à Montferrand parfois devant la porte du château ou sim¬plement dans la rue de n’importe quel village de la communauté. L’exécution des fustigations se pratiquait en courant sur une certaine distance (par exemple de St Mathieu de Tréviers à Cécelès, 1500 m) puis après un déplacement plus calme, une fustigation arrêtée dans un mas, et finalement une dernière course de même distance.

Un document intitulé « Enquête relative aux sévices sur les mem¬bres du chapître de Montpellier par l’évêque Fenouillet pendant la lutte survenue entre celui-ci et les chanoines » nous révèle les moeurs particulières de l’époque. « Le témoin Me Estienne Trial, prêtre et chanoine en l’église cathédrale St Pierre de la ville de Montpellier, 36 ans, syndic dudit chapître de Montpellier, est enlevé le 23 Mars 1651 devant la métairie de Chaulet, aux portes de Montpellier, par cinq hommes appartenant à l’évêque dont le chef semble être Guérin, parent de l’évêque. On l’amène tout d’abord au château du Terrai, puis au Roquet-Vieux (St-Gély-du-Fesc), ensuite à la métairie de St-Aunès, et de là au château de Montferrand. Il est retenu vingt neuf jours prisonnier ».

En même temps que lui, « un prisonnier nommé Richomme habitant du lieu de Fontanès (Ricome ?) où il fut détenu pendant trois semaines et ses enfants l’ayant voulu voir, on les retint, ayant pour plus grande cruauté sorti le père de ladite chambre pour le mettre dans un croton (oubliette) sous terre, fort affreux et profond qu’ils appellent « marquise » avec un de ses fils et l’autre mis dans un autre appelé comtesse ».

« De plus il sait que pendant deux mois, on aurait détenu dans ladite chambre un homme qui est prêtre et secondaire (vicaire) du lieu de Sainte Croix », cette dernière remarque rappelle l’ordre de l’évêque de Fenouillet au prieur de St Raphaël, le sieur de Beaulac, de faire le catéchisme sous peine de prison !

Il y a eu aussi des condamnations à mort. Une de celle exécutée à Montferrand l’a été en réalité dans un « arbroussas » (bois d’ar¬bousiers) où le condamné a été pendu à un arbousier, on ne sait pourquoi puisqu’il y avait les fourches patibulaires de l’évêque à Sainte-Croix. On ignore la raison de cette condamnation, sans doute l’était-elle pour assassinat ou blessure grave entraînant la perte d’un membre ; nous avons vu que les voleurs étaient fustigés.
Les condamnations pour hérésie ou sorcellerie étaient considérées comme les plus graves et punies de mort par le feu. Les grandes condamnations devaient avoir lieu à Melgueil et exécutées sur place.

Cette cruauté de l’époque nous impressionne beaucoup. II faut reconnaître que notre civilisation s’est bien adoucie surtout pour les criminels de droit commun.

P.-S.

Source : "Saint Mathieu de Tréviers - Cinquante mille ans d’histoire". Livre écrit par Jean ARNAL avec la collaboration de Sylvie ARNAL - 1986
Avec l’aimable autorisation de Michel Arnal.

2 Messages

  • Je vous remercie pour votre article sur la vie quotidienne de la vallée de Montferrand. Vous y faites allusion à Mgr Peytavin évêque de Maguelone. Faisant une étude sur cette famille qui celle de ma mère, j’aurais souhaité en savoir un peu plus sur ce personnage.Je vous transmets, Monsieur, Madame, mes sincères salutations Jean Gignoux

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  • Je vous remercie pour votre article sur la vie quotidienne de la vallée de Montferrand. Vous y faites allusion à Mgr Peytavin évêque de Maguelone. Faisant une étude sur cette famille qui celle de ma mère, j’aurais souhaité en savoir un peu plus sur ce personnage.Je vous transmets, Monsieur, Madame, mes sincères salutations Jean Gignoux

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