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Dialogue avec le « Père Noël »

jeudi 15 décembre 2011, par Mascarell Raymond

Prologue : Je voudrais par avance m’excuser auprès des puristes de la langue occitane compte tenu que certains termes employés, sont davantage phonétiques que grammaticaux.

Saint-Jean-de-Cuculles

Troublant mon sommeil, je perçois comme un bruit de casseroles que l’on bouscule sans vergogne.

- Alors militaire, tu te réveilles enfin.

J’écarquille difficilement les yeux et mesure avec angoisse ce monde qui m’entoure. Un monde fait de bruit et de brouhaha à n’en plus finir. Quel est cet homme jovial tout poilu, tout barbu qui m’interpelle avec tant de vigueur ?

- T’occupes, mec, ici dans le coin on m’appelle le « baron de la cloche ». M’est avis qu’en tant que troufion, tu ne roules pas sur l’or. Donc t’as pas à te faire du mouron pour ton portefeuille.

J’avais 20 ans, déjà…J’étais là, tout penaud, square d’Anvers à Paris, réalisant petit à petit que j’avais dormi sur un banc et que de l’autre côté un clochard avait fait de même. Les bruits grinçants que j’entendais confusément dans mon sommeil étaient en fait des boites de conserve dont il se servait comme ustensiles de cuisine.

Banastou

Il avait bien raison mon inconnu. Je n’étais guère riche puisque mes seules économies m’avaient servi à prendre le train aller-retour à partir de la Base école de Châteauroux pour venir passer un week-end dansant à Pigalle. Une fois sur place, il ne me restait qu’à limiter les frais de bouche et puis essayer de me faufiler en soirée dans une boite de nuit. J’avais repéré à la « boule noire » une petite table libérée comportant encore un verre à moitié vide. Il suffisait de m’asseoir et de laisser croire aux divers serveurs pas toujours physionomistes que c’était ma place. Restait ensuite après le dernier tango qu’à rejoindre le « dortoir » le plus proche en attendant la journée du lendemain.

C’était encore le temps où l’on ne se posait pas trop de questions sur la sécurité et sur toute une faune plus ou moins à l’affût de quelques tentations. Il m’arrivait donc de dormir souvent un peu partout à la belle étoile. Choisir le square d’Anvers était un luxe que je m’offrais cette fois ci tout en découvrant un autre Paris pittoresque avec notamment ce jour là, mon fameux « baron de la cloche ». Quel âge pouvait-il avoir ? Allez savoir avec cette barbe ...

Hotte

Désormais, quasiment bien réveillé et plein de curiosité j’apprenais qu’il n’avait pas envie de changer de situation laquelle était parfois d’un bon rapport mais je l’intriguais un tant soit peu :

- T’as l’accent Marseillais, t’es d’où ?

- De Montpellier. Dans un village, un peu plus au nord en fait…

- C’est drôle car j’ai fait les vendanges dans ton coin plusieurs fois dans ma jeunesse. Votre pinard c’est pas champion.

- Mon père le dit aussi mais petit à petit ça s’améliore

- Sur les coteaux, ça va mais dans la plaine, bonjour la piquette

- Où avez-vous fait les vendanges ?

- Dans un bled qui a un drôle de blaze. Attends !... St Jean de Cucule, je crois. C’est vraiment un joli coin perdu mais en plus, j’ai tournicoté dans les environs : Le Triadou, Les Matelles et d’autres lieux dont j’ai oublié le nom.

- C’est pas loin de chez moi. Je suis exactement de Prades le lez

- J’ai dû y passer dans ton patelin en venant en car de Montpellier. Comme vendangeur, j’étais porteur si bien qu’on était mieux payé que les coupeurs et on touchait 3 litres de vin par jour de travail au lieu de 2 pour les femmes. Autant te dire que c’est là que j’ai commencé à aimer le picrate.

- Vous portiez comment ? : A la hotte ? A la comporte ?

Pastière

- Oui la première année mais dans la plaine, on portait sur la tête « au « banastou » qu’ils disaient, les proprios, en patois. Pour moi c’était plus commode quand il flottait mais c’étais la course : Tu vidais et aussi sec tu remplissais puis repartais vider à la charrette dans un machin en grosse toile qu’ils appelaient « pastière ».. T’avais parfois plus d’un seau à chaque souche.

  • Je me rappelle, ma mère, quand nous avions trop faim pendant le guerre nous disait : « Allez dans les vignes » !... Le raisin c’est de l’aramon très bon à manger.

- Elle avait raison mais c’est valable quand ton raisin est mûr. Ceci dit, mon pote, j’aimerais bien revenir en arrière. Pour déconner même, on fardait le « valseur » des filles et on prenait des baffes. Normal !...

- Ma foi oui ! Perso je ne l’ai jamais fait mais par contre j’ai vendangé dans la plaine un peu aux alentours. J’y retournerai cette année si j’ai une permission.

- Un truc dont je me rappelle surtout, c’est des mecs qui descendaient de la montagne :La Lozère, l’Aveyron Dans le coin ils les appelaient les « gabachs » d’autant que ces mecs, ils parlaient plutôt patois que français. Dans mon équipe, il y avait deux frangins. L’un portait, l’autre vidait les seaux. Le porteur disait à l’autre ; « Tustin, passa mé lou férat » Ca nous faisait rigoler leur charabia. Les types du littoral s’estimaient plus évolués que les montagnards. Vas comprendre !....

  • Je crois que ça voulait dire : « Justin passe moi le seau ! » Dans mon village, on appelle un groupe de vendangeurs une « colle » et non une équipe. C’est vrai que près de la ville, les anciens ironisent pas mal sur la Lozère notamment. Avez-vous grimpé le pic St Loup ? Chez nous c’est une tradition pendant le lundi de pentecôte.

- Pas question ! J’étais trop flemmard sûrement. Et puis, et puis arrête de me les gonfler avec des vous et des « Monsieur ». Je t’ai dit qu’ici, sur le boulevard, je suis le baron de la cloche mais mon vrai prénom c’est Noël comme celui qui refile des jouets aux mioches au mois de décembre.

- Pas mal Noël. Il y a un acteur de cinéma qui s’appelle Noël noël.

  • C’est pas moi ! Sais-tu que dans le quartier on me donne souvent de l’argent ! Les filles, tu vois qui je veux dire, embrassent ma barbe et si elles font des passes, elles disent que je leur ai porté chance. Veux-tu un coup de rouge ?

J’apprenais au surplus que les cordonniers, bref les « bouifs » tel qu’il les appelait, lui offraient souvent des chaussures plus ou moins dépareillées. J’apprenais encore que certains épiciers voisins lui donnaient quelques fruits invendus. J’apprenais en outre que les « hirondelles » en vélo n’étaient pas trop vaches avec lui. Bref, Pigalle était assurément pour lui un village où il faisait bon vivre. C’était sans aucun doute « La place au petit jet d’eau » de la chanson.

-As-tu faim ? Allez viens, je t’offre le « ptit dèj ».

Boire du vin bon matin dans une ancienne boite de lait n’était pas chose facile pour un tout jeune provincial non habitué au rouge mais par contre j’étais bien partant pour le petit déjeuner. Et c’est ainsi que notre curieux duo, le jeune sans le sou et le vieux plein de poils aux habits rapiécés déambulent de concert un dimanche de juin 1952 aux alentours du Moulin Rouge à la recherche du premier bistrot venu.

- Un crème et des croissants pour deux, patron, décide mon compère ! Sais-tu que ça fait 25 ans que j’ai remplacé le lait et le café par du rouge. Tu te rends compte ce que tu me fais faire ! Pour toi évidemment, ce quartier de Paname est beaucoup moins calme que ta région et ton fameux pic St Loup.

Je devine dans son propos une malice qui me fait derechef affectionner ce drôle de baron. Nous conversons longuement et j’appréhende l’instant où nous allons devoir nous séparer. Nous reverrons-nous ? J’en doute avec néanmoins une lueur d’espoir. Son ultime adieu sera quelques francs qu’il me mettra d’autorité dans la poche avec un sourire fait de malice et de complicité.

- Allez salut la bleusaille ! Passe un bon dimanche à Paname et si t’as besoin d’une gâterie dans le quartier, vas voir Lili, ma copine du bar de la rue Fontaine. Elle te fera des trouvailles dont t’as pas idée. Connais-tu le truc du parapluie Japonais ? T’inquiète, elle t’apprendra !

- Au revoir baron et bonne chance pour toi ! J’avoue que tu demeureras désormais pour moi le seul vrai père Noël existant.

J’ai vieilli et je ne connais toujours pas son truc du parapluie japonais, ni Lili d’ailleurs, mais je continue de croire au Père Noël, tout au moins à celui-là. Revenant quelques années plus tard du Congo Brazzaville et ma situation financière s’étant nettement améliorée, je retournais aussitôt à Paris en espérant le revoir, l’aider financièrement et surtout revivre ces instants d’émotion dont l’image demeurait encore très vive en moi.

Arpentant l’avenue de Clichy puis Pigalle, j’interrogeais ici et là les « filles » qui l’avaient connu. L’un d’elles se souvenait et me racontait les larmes aux yeux qu’on avait trouvé mon « complice d’un matin » mort de froid en Février 1956 sur un banc du square d’Anvers. Le même banc, peut-être, où je l’avais rencontré

J’avais 20 ans et je n’ai jamais oublié mon « Baron de la Cloche », père Noël d’un jour. Un « baron » qui certainement aurait su qu’après les terribles gelées de ce même février où les vignes avaient subi de gros dégâts, de meilleurs cépages : merlot, syrah, grenache et j’en passe avaient remplacé petit à petit l’aramon de mon enfance. Il apprécierait de nos jours les labels de notre terroir et leur audience méritée. J’éprouve nostalgie et grand plaisir à l’imaginer…

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